Neige: naufrage ou miracle? Episode 2

Ceci vaut prévention du dérapage habituel des media quand vient la neige; arrêtons les cris d’orfraie de l’interviewé lambda, peut-être un peu naufragé, mais ni affamé, ni bombardé, ni gazé…

Et revenons à la beauté de la neige, à son élection comme merveille naturelle, précieux réceptacle des graines en bouillonnement. Pourtant en 1941-1944, le ciel était bouché:

 » Derrière la vitre du train, Masha voyait défiler un paysage de neige qu’elle n’avait qu’entre aperçu de nuit, quatre ans plus tôt, un instant fugitif après que le bébé de Natalya fût jeté hors du wagon, à peine sorti du ventre de sa mère…Ce souvenir navrant la faisait pleurer de rage, et renforçait sa détermination. Masha ne pouvait pas croire que l’enfant ait survécu, cependant elle se faisait un devoir de rendre un dernier hommage à son amie Natalya, morte d’épuisement au travail au Grusonwerk, le camp annexe de l’usine Krupp de Magdeburg. Elle revit sa pauvre figure grise au crâne rasé, les orbites creusées, son corps amaigri, presque transparent, ravagé par les puces, flottant dans sa tenue de travail Krupp bleue avec une bande jaune. La douleur d’avoir perdu son enfant lui avait enlevé la résistance que Masha, elle, avait su mobiliser. Masha avait survécu plus de trois longues années à ces tâches de forçat, douze heures par jour, sept jours par semaine, sans soins ni nourriture convenable, sans vêtement autre qu’un sac de jute aux couleurs Krupp. Elle avait résisté aux humiliations et aux coups de la police Krupp au brassard à croix gammée qu’une esclave méritait sans doute (Slaven sind sklaven, « les slaves sont des esclaves », affichait la pancarte devant l’atelier). Elle avait tenu avec cette idée obsessionnelle: quand je serai libre, je retournerai à cette gare, dont j’ai vu le panneau en un éclair, Lindau, je ne l’ai jamais oublié.

Dehors, c’était maintenant une neige salie par les stigmates de la guerre, carcasses d’usines et de bâtiments écroulés sous les bombardements américains et le feu des orgues de Staline, maisons brûlées, grands pins tranchés, déracinés. Il y avait moins de six mois que les armées russe étaient passées par là, nach Berlin. Quand l’omnibus ralentit à l’approche de la petite gare de Lindau, Masha sut qu’une fois descendue, elle se trouverait désemparée, sur un quai vide, éloigné d’une bourgade tout aussi vide, sans savoir ce qu’elle cherchait. Cependant, une voix intérieure la poussait à la poursuite d’une coïncidence qu’elle tenait pour probable.Mais non, tu n’es pas arrivée ici par hasard, tout ce chemin parcouru depuis trois années te mène quelque part, où tu dois être. »

Et le miracle allait se révéler.neige

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